Oppression, étouffement, passage étroit…
Sensation physique. État mental.
L’angoisse.
*
La névrose et l’angoisse, c’est comme un couple qui serait inséparable, mais qui ne serait pas heureux pour autant. Le tableau ressemblerait à ça :
Il y a quelque chose en nous que l’on ignore et qui nous fait peur…
Pour l’éviter, on développe inconsciemment des stratégies.
Mais cela se fait au prix d’une grande dépense d’énergie psychique.
Du coup, cette énergie n’est plus disponible pour… vivre sa vie.
*
Dans chacune de ces lignes, il y a la névrose.
Et entre les lignes, omniprésente, menaçante, envahissante : l’angoisse.
On en parle aujourd’hui.
Ça va bien se passer.
La gorge serrée
angoisse <==> anxiété <==> angine <==> latin ango <==> grec ankhô
==> serrer, rétrécir
L’angoisse (Angst en version allemande), c’est avant toute chose un symptôme.
Celui de la gorge qui se resserre. De la difficulté à respirer. De l’impossibilité d’avaler.
Déclinaisons : un poids sur la poitrine, une boule dans le ventre, etc.
Début 2020. Une maladie entraînant des difficultés respiratoires sévit sur la planète. L’épidémie, en soi, c’est anxiogène. Et on peut envisager que celle-ci l’a été encore plus à cause d’un effet de suggestion :
- J’imagine ce que c’est de ne pas pouvoir bien respirer.
- Du coup je ressens le symptôme de l’angoisse.
- Et par là même, je suis angoissé.
L’inconscient, qui fonctionne dans un principe de symétrie, adore inverser les choses. Ainsi, certaines personnes peuvent avoir une tendance à angoisser parce qu’elles ont ressenti un signe physique d’angoisse (contraction abdominale, souffle court…).
==> c’est une forme de réflexe conditionnel induit par nous-mêmes.
#Ivan_Pavlov
voir ce lien sur le rapport entre crise d’asthme et crise d’angoisse
Fondamentalement, l’angoisse est donc un état. Nommé d’après un ressenti physique.
Ce ressenti, à base organique, peut aussi se jouer à un niveau subliminal (= en dessous du seuil où une perception devient sensible).
Du genre : un micro pincement de gorge, dont on ne se rend pas compte, mais qui suffit à déclencher la machine (en mode « angoisse : ON »). Une mesure très fine pourrait relever ce signal physique.
(avec un « détecteur de mensonge » par exemple…)
Et ce ressenti peut même, au-delà des signes physiques, se résumer à l’activation d’une trace psychique (= d’un « souvenir inconscient »). Une sorte de « simulation d’angoisse inconsciente ». Sauf que l’inconscient est très premier degré : pour lui, c’est toujours pour de vrai.
Dans ces cas-là, le ressenti d’angoisse devient difficile à identifier directement. C’est en partant de certains symptômes observables (obsession, phobie, insomnie…), que l’on pourra remonter vers leur origine et envisager leur raison inconsciente : éviter l’angoisse.
« Phobie = éviter l’angoisse ?!? »
==> Oui : la phobie transforme en peur de quelque chose ce qui n’était qu’angoisse diffuse.
Du coup, ça devient « gérable » (même si c’est hyper pénible).
Parce que, « grâce à la phobie », on sait ce qu’on doit éviter.
Voilà qui illustre une fonction du symptôme : tenter de nous guérir, même si c’est parfois maladroitement.
En résumé :
L’angoisse, c’est à la fois :
—> de l’inconnu en nous que l’on veut éviter
—> ce qu’on provoque en voulant l’éviter
Du danger réel au danger imaginaire
L’angoisse est la cousine de la peur.
Sauf que la peur est peur de quelque chose. La peur peut nous sauver la peau (peur de l’orage, du serpent, du tigre-à-dents-de sabre…).
L’angoisse est sans objet.
L’angoisse, c’est une sorte de peur virtuelle. Un prototype 3D de la peur.
L’angoisse ne répond pas à un danger réel.
Au départ, on a eu peur : quelque chose dans le monde nous menaçait (y compris la faim, l’abandon…). On avait face à ça une solution motrice : s’échapper, lutter, crier pour appeler une aide…
Puis les situations de peur se répètent, avec des variations et des constantes. Notre système nerveux développe des schémas de réponse à telle ou telle situation.
Ces réactions-types laissent des traces dans notre psychisme. Face à toutes les situations qui arriveront par la suite, on prendra de préférence ces chemins déjà tracés.
C’est le « frayage » évoqué par Freud au début de ses travaux psychanalytiques (dans une approche tout à fait neuro-cognitive pour l’époque).
Bref, on va recréer un « microcosme » dans notre psychisme. Une image du monde et de nos rapports avec lui.
Se mettent en place des associations, des chaînes logiques silencieuses. Un répertoire de comportements par défaut. Mis en actes ou imaginés, consciemment ou inconsciemment (« fantasmés »).
Or il arrive parfois que ces « associations » prennent une vie propre : elles commencent à dépendre de moins en moins du monde extérieur. Elles fonctionnent alors « en roue libre » et ne sont plus testées concrètement (= elles ne sont plus soumises à l’épreuve de réalité).
Quand tout se passe « à l’intérieur de nous », indépendamment du monde, cela relève du fantasme.
Et quand ça s’installe durablement, cela peut faire naître des complexes.
Dans le cas de l’angoisse,
le danger extérieur réel est remplacé par un danger intérieur, imaginaire et inconscient (= « fantasmatique »).
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Le coup de génie de Freud
==> La névrose, c’est « un système anti-angoisse ».
Un bricolage, qui dépanne, mais qui va poser problème quand il perdure. Quand il ne correspond plus à une exigence du développement de l’individu.
C’est la stratégie développée par un individu pour échapper à l’angoisse, quitte à se rendre malade.
Parce que l’angoisse, n’étant pas définie, est par défaut assimilée au plus grand danger possible. Il est donc rationnel pour le psychisme (inconscient) de tout sacrifier à cette lutte contre l’angoisse.
==> La névrose se définit par son but, sa fonction (éviter l’angoisse).
… Elle ne se définit pas par des symptômes particuliers (il y a mille et une façons d’être névrosé, que l’on peut regrouper en quelques grandes catégories).
Voilà le coup de génie de Freud : avoir défini ce trouble dans sa structure, au-delà des apparences.
Et l’avoir défini positivement : c’est-à-dire en décrivant ce qu’il contient, ce qui le caractérise.
(au lieu de le définir négativement, par défaut, comme un dysfonctionnement, une « faiblesse de l’esprit »)
==> Ce qui caractérise la névrose, ce sont les mécanismes inconscients qui la constituent.
Freud a posé l’hypothèse – on peut aussi dire la fiction – d’un appareil psychique constitué de plusieurs parties relativement autonomes. Des instances, dont les interactions silencieuses portent à conséquence dans la vie réelle.
Inconscient, préconscient, conscient, Moi, Ça, Surmoi…
Des instances en dernier lieu appuyées sur l’anatomie de notre système nerveux (circuits d’impulsion, d’inhibition, de régulation…). Et sur les expériences faites dans notre développement.
Des « sous-systèmes », qui se renforcent et se singularisent de plus en plus, selon le contexte social, familial, personnel, où l’on évolue.
Fuir l’angoisse nous emmène… vers l’angoisse
En nous, il y aurait donc comme des blocs divergents, des puissances qui tirent dans des directions opposées. Ou qui se confrontent, comme des plaques tectoniques. Avec nous écrasé au milieu.
De là, une façon de dire l’angoisse :
l’angoisse, c’est le produit d’une contradiction intérieure.
… d’une tension entre différents mouvements, au sein de notre personne.
Ça se traduit au niveau existentiel. Typiquement :
-
- « affirmation de soi » vs « fidélité au groupe »,
- « évoluer » vs « préserver une situation »,
- « persévérer » vs « tout changer »…
Et toutes les situations où il s’agit d’envisager une alternative.
De faire une place à notre voix minoritaire.
Parfois, ce jeu entre les « puissances intérieures » se rigidifie. La dynamique perd de sa souplesse et se met à suivre systématiquement les mêmes parcours.
*
==> Le psychisme profond nous rapproche par définition de nos instincts, donc de la partie la moins évoluée, la moins humanisée de nous-mêmes.
De ce côté-là, on pourra bien sûr trouver des élans puissants et justes, une capacité à s’orienter tout à fait vitale.
Mais ça, c’est quand notre psychisme tout entier fonctionne en bonne harmonie. Quand ça circule avec fluidité « de bas en haut et de haut en bas ».
Sinon, si on est dans la névrose, si l’angoisse et la peur de l’inconnu sont trop fortes, si dans l’inconscient c’est tout crispé, l’instinct va être travesti, biaisé, et dévié de son but.
En fait, on va croire être du côté de « l’instinct », alors qu’on sera juste « au-dessus » : dans les « couches » du psychisme correspondant au conditionnement, au réflexe.
==> On se racontera qu’on agit selon notre nature, alors qu’on est simplement en train de reproduire les mêmes schémas de fond, sous des habits rapiécés.
(c’est ce qui arrive souvent dans le « développement personnel ». On parle de ça à la fin de cet autre article).
*
On tourne en rond, donc.
On s’accroche à ce qu’on connaît
… même si ça nous fait du mal.
==> On retourne vers les mêmes personnes, ou les mêmes profils. On retourne vers les mêmes situations. Vers les mêmes schémas.
… Et on fait l’impasse sur les solutions alternatives.
Notre « diplomatie psychique » vire à la guerre froide : certains aspects de nous-mêmes « se retirent de la table des négociations ».
Ça ne veut pas dire que ces aspects de nous-mêmes disparaissent.
Ça veut dire qu’ils vont choisir d’autres moyens de pression.
(en filant la métaphore, on pourrait dire qu’ils vont recourir au sabotage, au terrorisme, au hacking…)
Cette « minorité en nous » ne va pas renoncer à se faire entendre.
Le refoulé va nous pourrir la vie, jusqu’à ce qu’on lui donne sa juste place.
… Et on va vivre avec le spectre d’une menace latente, mal identifiée, qui est partout et nulle part.
Face à cette menace sans nom, on aura encore plus le réflexe de se réfugier dans ce que l’on connaît, quitte à accepter l’inacceptable.
Par besoin de sécurité.
(Quoi ? Un rapport entre névrose collective et névroses individuelles, vous croyez ? 😉)
Tôt ou tard, ça ressortira, insidieusement, dans le symptôme, la maladie, le malaise.
Dans l’angoisse, que l’on croyait fuir, et que l’on retrouvera… devant nous.
…
RAPPEL : L’angoisse, c’est associé au passage étroit.
… et c’est symboliquement associé à la naissance.
(où certains voient d’ailleurs l’origine de tous les traumatismes)
Quelque part, tous les changements dans notre vie peuvent renvoyer à ça.
Au « passage étroit ».
La sagesse traditionnelle l’avait bien saisi, et intégrait dans les parcours initiatiques des phases de paralysie, de restriction, d’entrave.
Avant la grande libération, le passage à un nouvel état.
… Ce genre de rituels se trouvent encore aujourd’hui, plus ou moins bien faits.
À vous de découvrir.
Mais quand on est dans la névrose, on anticipe l’angoisse. Et on s’arrête avant le passage étroit.
Ou pire : on s’agite dedans, et on reste coincé.
==> La claustrophobie, c’est vraiment le modèle idéal de l’angoisse.
(Et on comprend maintenant qu’elle est présente, par analogie, même en dehors des ascenseurs ou des escape games…)
Voilà donc que nos options se réduisent, se focalisent sur un petit nombre de mouvements. On entre dans une mécanique rigide, un fonctionnement automatique.
Nos « réponses-types » se déclenchent alors avec des stimuli de plus en plus lointains. Apparaît une sorte de boucle comportementale, qui envahit notre existence, et qui va toujours amener au même scénario.
Au lieu de générer de la nouveauté, de l’adaptation, cela va générer de la répétition.
C’est ce qu’on appelle un complexe.
Vivement le prochain article…

PS : Quatre jours avant la publication de cet article, un policier américain a tué un homme en entravant sa respiration pendant de longues minutes. Il était assisté de trois collègues.
Le policier était connu pour ses comportements et paroles violentes.
Nous avons parlé dans cet article de la phobie, et de comment un individu peut parfois fixer son angoisse sur des éléments de la réalité extérieure (il peut s’agir d’une catégorie de personnes).
Par ailleurs, et en conséquence de ce meurtre, depuis le 25 mai des gens manifestent partout sur la planète, reprenant les derniers mots de la victime :
« Je ne peux pas respirer »
On peut constater que cet enchaînement d’évènements arrive justement maintenant, dans le contexte de pandémie respiratoire.
On appelle parfois ce genre de résonance une « synchronicité ».