« Je peux pas m’empêcher de… »
« J’en ai marre, à chaque fois… »
« C’est fou, je me retrouve toujours dans les mêmes plans… »
« Mais pourquoi je tombe systématiquement sur des… »
« Je sais pas ce qui m’a pris… »
… Voilà qui ressemble à des situations où l’inconscient demande à être entendu.
De même que…
« Cette fois-ci, je croyais vraiment que… Et puis… »
« C’est plus fort que moi… »
« J’ai encore réagi comme ça, je comprends pas pourquoi… »
L’inconscient ? On pourrait dire que c’est ce que tu portes en toi, que tu perçois vaguement sans pouvoir l’identifier, mais qui est présent, agissant, qui te suit partout, de si près que tu n’arrives pas à le voir…
Quand il y a
quelque chose qui se répète,
quelque chose qui ne passe pas,
ça peut te mettre la puce à l’oreille…
Ça peut se manifester par des petites choses qui reviennent dans notre vie.
Des trucs qu’on ne remarque même plus et qui nous accompagnent au quotidien, ou presque.
Par des habitudes étranges dont on s’accommode, des bizarreries qui suscitent l’agacement ou l’amusement des proches.
Des gênes, des détours, des complications, des gestes rituels…
Par des micro-événements qui commencent à nous tomber dessus, mais qui semblent insignifiants, fortuits.
Par l’impression que le dérapage n’est jamais bien loin, qu’on doit toujours faire très attention…
==> Bref, par des boulets au pied que l’on finit par confondre avec notre personnalité.
*
Il peut s’agir aussi de situations plus complexes, mais tout aussi récurrentes, qui se jouent sur des temps plus longs (dynamiques amoureuses, professionnelles, relationnelles…).
Des situations qui ont un fort air de déjà-vu.
Mais ça, bien souvent, on s’en rend compte après-coup, ou en tout cas à contretemps.
Cette répétition est parfois l’indice qu’au niveau inconscient « quelque chose bloque » (et que « quelque chose pousse », ce qui va de pair).
Elle nous confronte au fait que
… et cela n’est pas forcément agréable à accepter.
L’idée, c’est de faire en sorte que ça se traduise autrement que par l’angoisse, l’addiction, la confusion, le blocage, la souffrance… De faire en sorte que ça agisse dans une direction plus vivante, plus féconde, plus riche. Plus libre.
Accueillir ce qui déborde
Classiquement, la psychanalyse considère qu’on répète des choses, qu’on les rejoue, qu’on les agit sans s’en rendre compte, pour éviter de s’en souvenir, de les remémorer. (1)
Il y a bien des explications possibles à ces répétitions :
==> tendance inconsciente à vouloir maîtriser ce qui nous a échappé par le passé…
==> tendance à vouloir racheter quelque chose, à solder une culpabilité…
==> crainte de faire différemment des siens, de trahir une forme de fidélité familiale…
La liste est longue.
Cela ne provient pas seulement d’événements réels, objectifs.
Il s’agit plus généralement d’événements psychiques, au confluent de la réalité et de la perception.
==> Ça dépend aussi de comment l’événement se passe, de quand il intervient. De l’état de la personne, de ce qu’il y a autour, avant, après…
Quoi qu’il se soit passé, c’est la trace laissée en nous qui va être déterminante.
C’est du côté de ces traces que Freud a jeté les bases de la psychanalyse.
Ces traces vont écrire en nous des histoires silencieuses.
Des histoires qui peuvent se baser sur un événement réel, mais qui ensuite vivent leur vie propre.
Des histoires qui vont nous conditionner.
Dans la terminologie de la psychanalyse,
on appelle « fantasmes » ces histoires qui se déroulent inconsciemment
… malgré nous, à notre insu.
*
NB : tout ça a évidemment une inscription corporelle, un support neurologique (= ça se traduit dans le cerveau).
Or, le cerveau est super-malléable.
Donc ça peut changer.
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Un fantasme n’est ni vrai, ni faux, ni bon ni mauvais,
car un fantasme relève de la réalité psychique.
Mais il peut avoir des effets dans le monde réel, en se manifestant notamment par des répétitions.
… Cette histoire « écrite à l’avance » va se traduire par des situations qui reviennent dans notre vie.
Par des expériences récurrentes, des vécus qui s’accumulent…
Ancrées dans une réalité intérieure, ces répétitions se manifestent dans la réalité extérieure. Elles portent donc à des conséquences concrètes.
Des conséquences parfois rigolotes, parfois créatrices, mais souvent bien pénibles.
Se figurer ce qui se joue
L’idée de base de la psychanalyse, c’est de prendre acte de ces répétitions et de faire en sorte qu’elles puissent s’exprimer dans le cadre protégé de la thérapie.
==> C’est-à-dire pas uniquement dans le monde extérieur, ce qui pourrait nous causer des emmerdes, mais pas non plus uniquement dans notre tête, ce qui nous causerait… des prises de tête.
Ainsi, et contrairement à une idée reçue,
la thérapie d’inspiration psychanalytique
ne relève pas d’une pure introspection
Elle relève plutôt d’une forme particulière de relation, dans une sorte de « tiers lieu », dans une « boîte à imaginaire », où l’on peut en toute sécurité donner des formes à ce qui nous habite.
Laisser émerger. Considérer. Essayer. Comparer. Trouver des façons de dire, plus largement des façons de se figurer ce qui se joue. Certains disent symboliser.
Pour que la répétition ne soit plus utile et se défasse, insensiblement.
La pratique a également un rapport avec le transfert, c’est-à-dire la tendance que nous avons à rejouer des relations fondamentales, fondatrices, « archaïques », dans les relations de notre vie adulte (et donc dans la relation thérapeutique).
Les émotions, et la façon dont on les entend, sont alors au cœur de ce qui se joue.
Cette compréhension ne se déploie pas uniquement dans une sphère « intellectuelle » : elle va en dernier lieu se traduire par des actes inédits, des situations plus satisfaisantes. Du neuf, indéniable, et qui fait sens.
Cette nouveauté peut enfin trouver sa place parce qu’on lui aura préparé le terrain en envisageant les choses différemment.
L’inconscient a tout son temps
Prendre acte de ce qui se répète. Ne pas l’ignorer.
Ne pas faire comme si de rien n’était
Parce que si on veut laisser le temps s’en charger, jouer ça à l’usure, ça ne marchera pas. Parce qu’à ce petit jeu, c’est toujours l’inconscient qui gagne.
L’inconscient a tout son temps (mieux même : il ne connaît pas le temps).
Et il n’est pas là pour nous persécuter. Il porte toujours quelque chose pour nous.
Un peu comme Le K, imaginé par Dino Buzzati.
C’est un point de vue qui complète ce qu’on a dit plus haut :
s’il y a quelque chose qui bloque,
c’est parce qu’il y a quelque chose qui pousse
Mais quoi ?
Ce que j’appelle ici « l’inconscient », par commodité de langage, recouvre le très vaste champ qui se trouve entre les pulsions vitales et la conscience.
C’est le lieu qui se situe entre, d’une part,
-
- les élans fondamentaux, les besoins, les aspirations…
==> Ce qui vient de notre nature profonde.
- les élans fondamentaux, les besoins, les aspirations…
et d’autre part,
-
- les idées, les projets, les résolutions…
==> Ce qu’on formule dans la réalité.
- les idées, les projets, les résolutions…
L’ « inconscient », ce serait donc ce lieu où nos élans vont essayer de « monter » et de se faire remarquer, pour être pris en compte.
Mais pour cela ils adoptent parfois des formes d’emprunt qui les rendent méconnaissables.
De l’autre côté, « à la sortie » de l’inconscient, il y aurait les idées, les comportements qu’on va effectivement adopter.
Et quand les idées « se retournent », regardent derrière elles ce qui les pousse, parfois elles ont du mal à l’identifier, à le reconnaître.
Surtout si elles le regardent avec des lunettes qui ne sont plus bonnes, des lunettes du passé. C’est là que naissent les malentendus. C’est là que ça coince, et que ça peut faire mal.
Du coup, on s’invente souvent des rationalisations, des explications à nos comportements. C’est bien humain, ça nous rassure, et au quotidien ça peut fonctionner.
Mais il faut parfois revenir un peu à la source, pour s’assurer que ce qu’on est en train de faire, de vivre, nous correspond vraiment, au fond.
Il va s’agir de mettre en place une « ligne directe » avec l’inconscient, ou en tout cas un moyen personnel d’entendre ce qu’il a à nous dire.
Sinon, on pourra s’agiter, s’occuper beaucoup, penser, faire… Mais tout ça avec un étrange sentiment d’insatisfaction. Parce qu’on a trahi nos vrais désirs.
Alors, malgré nous, quelque chose va remonter vers la surface et parasiter nos jolis plans. En insistant.
Tant qu’il n’est pas entendu, « l’inconscient » nous confronte encore et encore aux mêmes situations
Lui, il a sa vision d’ensemble, il a la vision panoramique sur notre vie, tandis que, nous, on ne voit que des petits bouts.
C’est comme ça, on ne peut pas penser à mille choses à la fois. Mais ça n’empêche pas notre psychisme de traiter une infinité d’informations, hors du champ de la conscience.
Alors, pour se faire remarquer de la conscience, l’inconscient doit s’adapter et employer une langue qu’elle puisse entendre.
Par exemple en suscitant des petits événements étranges, ou des rêves qui vont nous marquer, etc.
Pour lui faciliter la tâche, on peut faire un geste nous aussi, et lui tendre la main depuis le bord de la conscience. Ça évitera que trop d’énergie et d’information se perde en chemin. Et qu’on se retrouve trop loin de notre juste place.
… Il s’agira d’apprendre à « voir les choses en perspective », de trouver des façons de traduire notre relief intérieur…
Si l’inconscient ne trouve pas sur son chemin des moyens de communiquer, de la place pour se déplier, il se manifestera par petits bouts et avec insistance, sans trêve. Par la répétition.
*
Prenons une image. Imaginons notre psychisme comme une salle de danse, une boîte, une discothèque. Pourquoi les choses se répètent à l’identique ? Parce que le physionomiste qui se trouve à l’entrée de la conscience ouvre et referme rapidement le sas, et la porte qui donne accès à la salle.
La salle, c’est le lieu où les choses se passent. Et notre physionomiste, notre videur, ne laisse entrer qu’une personne à la fois. Il attend que le premier danseur soit sorti avant de faire rentrer le suivant. Puis il attend que celui-ci ait quitté la salle avant de laisser entrer le troisième. Et ainsi de suite. Forcément, ça va être long, et pas très amusant. Ça va être un peu répétitif.
Surtout, s’il n’y a qu’un seul danseur à la fois sur la piste, il va être difficile de percevoir la chorégraphie d’ensemble…
Et ce serait bien dommage, n’est-ce pas ?
(1) Voir par exemple l’article de Sigmund Freud « Répétition, remémoration et perlaboration » (1914)