Voilà.
C’est du passé.
C’est fini.
Et si c’était à cause de toi ? Et si c’était de ta faute ?
Regardons un peu notre fichue tendance à culpabiliser (qui marche super bien en amour)…
Dans les deux précédents articles (disponibles ici et là) nous nous sommes intéressés aux séparations et aux deuils. Ces situations de perte, ces états de changement, engendrent de la dépression. C’est normal, physiologique même.
NB : tout ceci s’applique aussi dans les moments où on fait le « deuil » d’une certaine vie, d’une certaine idée de soi.
Parfois, l’état dépressif ne passe pas et on a vu, en développant une proposition issue de la psychanalyse, que c’est peut-être parce que nos sentiments envers l’absent étaient ambivalents, sans qu’on en soit conscient. Bref, il n’y avait pas que de l’amour, dans notre amour.
En soi, c’est humain. Nous sommes pleins de tendances contradictoires.
Allons maintenant vers des conséquences de cette ambivalence. Des conséquences lourdes d’effets.
« J’ai tout cassé »
En reprenant les termes de Freud dans Deuil et mélancolie, on peut écrire ceci :
il y avait du pour et du contre dans la lutte pour l’amour
et ça a abouti à la perte de l’amour.
L’amour, c’est rarement univoque, parfaitement pur. Il y a souvent autre chose qui s’en mêle.
Certains parlent de pulsions d’auto-conservation qui s’opposeraient aux pulsions érotiques.
D’autres de pulsion de mort contre pulsion de vie.
D’autres encore d’une agressivité innée en lutte avec notre tendance à l’attachement…
… autant de façons de décrire ce qui se joue dans ces mouvements puissants, alternatifs, qui renversent tout sur leur passage et nous laissent « en mode tout ou rien ».
On a eu un aperçu de cela dans L’enfant seul. Celui qui continue à exister en nous et vit les choses « puissance mille ». Celui qui croit que les gens disparaissent à cause de lui.
Celui pour qui le monde s’écroule au moindre truc qui foire, etc.
Pour ce qui nous intéresse aujourd’hui, voici ce qu’on va dire : après une perte, typiquement une rupture amoureuse, peut se développer une sorte de noyau psychique autonome, un « quelque chose en nous » qui s’accroche au passé, le ressasse, ne le laisse pas partir. Ça nous bouffe de l’énergie, ça nous pompe.
On verra bientôt que cet hôte indésirable s’appelle un complexe.
Cela se constate surtout chez la personne délaissée mais nous sommes là dans des zones du psychisme où les choses se renversent facilement dans leur contraire. Rôle actif et rôle passif y échangent souvent leur place.
L’idée : si on « ne fait pas son deuil », c’est peut-être parce qu’on n’est au fond pas tranquille avec notre responsabilité dans ce qui s’est passé.
Je ne vous fais pas languir plus longtemps, vous le voyez venir, le champion des champions, le célèbre
complexe de culpabilité
Plus fort que le coronavirus, il se transmet de toi-même à toi-même, il te confine en toi-même, il s’installe en toi et te pirate, t’étouffe.
Pas grave, on va lui botter le cul comme on va botter le cul au coronavirus : en regardant comment ça arrive, comment ça s’entretient, comment ça se développe.
Et en tirant des conséquences concrètes, pour une action cohérente et efficace.
Auto-punition
Dans un précédent article, nous avons vu qu’après la perte il y a une agressivité dont on ne sait pas quoi faire.
Parce qu’elle portait contre l’absent et doit trouver un autre support.
Et parce que, d’une façon générale, nous ne savons plus trop quoi faire de notre agressivité. Souvent, on veut la nier (c’est une attitude assez courante).
SPOILER : ça ne marche pas. Ça ressortira d’une façon ou d’une autre.
Peut-être que quelque chose en nous a attaqué la relation… Peut-être qu’on ne tenait pas tout à fait à cette relation, que quelque chose tirait dans l’autre sens… Peut-être a-t-on, malgré nous, fait en sorte que ça finisse mal…
Que ce soit vrai ou pas importe peu. On va voir que, même quand objectivement on n’y est pour rien, quelque chose en nous peut se comporter comme si c’était de notre faute.
Il s’agit pas ici de dire « Voici nos motifs cachés ! Ça marche à tous les coups ! ».
Parce que ça dépend des cas.
Il s’agit de dire ceci :
si quelque chose en nous vit la perte comme de notre faute,
si quelque chose en nous connaît silencieusement nos tendances négatives,
alors notre difficulté à sortir du deuil peut s’expliquer.
*
Et si, de surcroît, la perte fait écho à une autre perte plus ancienne, on voit comment tout cela peut se complexifier, devenir inextricable. Un cercle vicieux dont il est bien compréhensible qu’on n’arrive pas à se sortir tout seul.
Bref, on se dit, quelque part, que l’on a provoqué cela (et il peut y avoir du vrai là-dedans, ce n’est plus la question).
On se dit, quelque part, que « c’est bien fait pour nous ».
Et l’on fait tourner indéfiniment la situation en nous, comme pour la rejouer en espérant changer quelque chose.
Ou pour solder notre dette en nous infligeant une souffrance rédemptrice.
Dans tous les cas : pour ne pas rester avec cette culpabilité.
Réparer
On se dit que si c’était à refaire, on ferait les choses différemment. Si on avait une deuxième chance.
Or on n’a pas forcément de deuxième chance. Il faut donc souvent chercher d’autres moyens de réparer les choses.
Melanie Klein avait lié fortement la sortie de la dépression et la capacité de réparation. Réparation de l’autre, de la relation.
Et par ricochet, de soi.
Cette réparation, elle est de toute façon plutôt de l’ordre du fantasme (= de la réalité psychique). La bonne nouvelle, c’est qu’on va pouvoir la faire exister en agissant dans un registre symbolique.
Ça peut passer par les mots. Une lettre (qu’on n’enverra pas forcément, d’ailleurs), une mise en récit. Par l’écoute bienveillante d’un tiers : un proche, un inconnu, ou un thérapeute (qui a les outils pour nous accueillir sans conditions et nous aider spécifiquement dans ce travail de symbolisation).
Ça pourra être un geste aussi. Un geste symbolique. Un cadeau. Un pardon. Un petit rituel qu’on inventera. Un lieu, un objet, un moment, où l’on va déposer cette culpabilité.
Ça pourra se jouer entre nous et nous, dans les images qui nous habitent.
Ça sera singulier, en tout cas.

Aujourd’hui encore, on a proposé des éclairages, des options, des angles de vue. Pour envisager que derrière le chagrin qui ne passe pas il peut y avoir quelque chose à dénouer.
Envisager aussi que, bien souvent, ce n’est pas purement la réalité des faits qui cause notre souffrance. Bien souvent, s’il y a une « cause », c’est plutôt l’histoire silencieuse qui se joue en nous. En mode « tout se passe comme si ».
*
On verra une prochaine fois que les situations de perte, de rupture, nous confrontent également à notre trajectoire personnelle. À ce que l’on est.
C’est une autre histoire.
Qui sera plus joyeuse.
Promis.
(Je ne vous serre pas la main, mais le cœur y est)
Un conseil de visionnage : « La maison des ombres » (V.O. : The Awakening).
(Grande-Bretagne, 2011, > 12 ans)
deuil/culpabilité/fantômes : classique, efficace.
[retour]
Quand c’est l’amour, on n’y pense pas…
Il arrive qu’on soit traversé par des pensées de mort envers un proche, plus ou moins clairement ressenties. C’est comme ça.
Les enfants l’expriment parfois de façon abrupte (« Je veux que tu meures ! »).
Ça a le mérite d’être verbalisé, donc de ne pas être ravalé, ni mis en acte.
Évidemment, si là-dessus un malheur arrive réellement à l’autre, il risque bien d’y avoir une culpabilité inconsciente.
On admet assez volontiers cela dans les cas de décès, d’accident, etc.
Mais il semble qu’on soit moins enclin à envisager cette culpabilité inconsciente en cas de rupture amoureuse.
Ce sera même le genre de situation où l’on va se plaindre d’autant plus de notre sort, crier à l’injustice, en toute sincérité. Avec l’enjeu inconscient de repousser cette culpabilité hors de nous. De la projeter.
… Avec l’enjeu aussi de ne pas montrer la part de satisfaction que l’on trouve dans le départ de l’autre personne. De ne pas montrer que quelque part on y trouve son compte.
Vertiges du vide de l’amour…
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Merci à l’artiste Clashing Squirrel, de m’avoir permis d’utiliser un de ses collages pour illustrer l’article.
Vous pouvez découvrir ses œuvres sur instagram.com/clashing.squirrel.
Sur la page d’accueil du blog, l’en-tête de l’article présente une photographie de Elliott Erwitt (New York, 1954, Third Avenue).