Le confinement a été un révélateur pour beaucoup d’entre nous.
Il nous a — parfois cruellement — confronté à nos incohérences ordinaires.
Quelques vécus typiques du récent confinement :
J’habite dans un endroit où je ne me sens pas bien.
S’il n’y a pas un patron pour me dire quoi faire, je ne sais pas quoi faire.
Je croyais que je ne pouvais pas m’organiser autrement. Et en fait si.
J’aime mon conjoint, mais pas au point de vivre avec.
Et le tube du printemps :
Je ne fais rien de ce temps libre et je culpabilise.
…
Libre à vous de compléter la liste.
Bref : une foule de situations marquées à la fois par un sentiment d’impuissance et d’absurdité.
Aïe.
Ça sent la névrose.
– BONUS : en exclusivité dans cet article, découvrez une photo aérienne de l’angoisse, prise avec un drone –
Se compliquer la vie
« Mince, il m’a laissé un message sur mon répondeur. Je dois le rappeler. Mais comme j’avais pas répondu à son sms de la semaine dernière, avant de l’appeler je dois d’abord lui envoyer un sms pour lui dire que j’ai bien reçu son sms et que je voulais justement l’appeler. Et que je suis désolé. Mais pas tout de suite, parce que c’est pas par rapport au fait qu’il m’a appelé maintenant que je lui envoie un sms.
(…) Ou sinon… Je lui envoie un sms pour lui dire que j’ai bien eu son sms et son message vocal, et je lui dis que je vais le rappeler après et que je suis désolé. Et que j’allais le faire. Voilà. Demain je fais ça. »
SPOILER : cette scène finit mal.
On n’appelle jamais.
Ça pourrait être drôle raconté comme ça (c’est surtout bien lourd).
Si c’était un personnage dans une fiction, une BD…
Mais en vrai, c’est pas marrant.
… Même si en France, il y a comme une petite « hype » de la prise de tête. Ça fait chic. Ça donne un genre.
Il ne faut pas s’amuser à rester là-dedans.
C’est pas cool d’être névrosé.
La névrose, c’est pas rose (©)
La névrose, ça reste, de très très très très loin, le trouble psychique le plus répandu.
Sous une grande variété de formes.
Revenons aux fondamentaux.
==> Si tu souffres de façon diffuse, si tu es écrasé de doutes, si tu n’arrives jamais à finir ce que tu entreprends, si pour toi tout est toujours compliqué, si tu as une sensation d’enlisement dans ta vie…
… peut-être que tu te tapes une bonne vieille névrose.
En fait, c’est même hyper probable.
Mais ce n’est pas obligatoire.
= Ça existe de vivre sans se galérer comme tu te galères.
Première étape, donc : tu as le droit d’avoir une névrose.
Et bonne nouvelle : tu vas pouvoir t’en occuper, parce qu’une névrose, c’est pas un petit rhume…
Ça peut devenir grave. Ça gâche la vie. Ça t’emmerde, toi, et ceux qui t’entourent. Ça rend le monde moins joli.
Et en général ça ne passe pas tout seul.
Vivre avec le frein à main : l’angoisse
- J’aimerais faire quelque chose.
- Rien ne m’en empêche.
- Et je ne le fais pas.
- Rien ne m’en empêche.
Quand c’est systématique, quand c’est tout le temps comme ça, quand c’est structurant, on est dans la névrose.
On se bat contre soi-même.
==> Inconsciemment : en sabotant minutieusement nos propres projets.
==> Consciemment : en prenant des résolutions que l’on n’arrive pas à tenir.
Résultat : de l’énergie perdue.
On vit moins, et moins bien. Parce que nos forces se dispersent « en souterrain », dans un tiraillement permanent.
Comme une fuite entre le compteur et le robinet : ça consomme, ça consomme, mais ça ne sert à rien…
Du coup, ça fait du « gaspillage » de nous-mêmes.
On pourrait dire que la névrose réduit notre « espérance de vivre ».
On pourrait faire autre chose, dont on sait bien que ça serait chouette… Mais on est trop occupé à batailler avec soi-même.
Et comme on ne veut pas de ça, de cette lutte sourde et incessante, on essaie de s’échapper de soi. En forçant. En voulant passer justement par l’endroit où ça coince, par le goulot d’étranglement.
Et c’est là qu’il y a de l’angoisse.
Alors on rajoute une couche d’effort sur nos efforts.
Et ça empire.
Et on n’en sort pas…
En super résumé : quand on est névrosé, on organise inconsciemment toute sa vie pour ne pas être confronté à l’angoisse.
Et c’est justement parce qu’on vit dans cet effort souterrain que ça crée une tension qui va se manifester par…
… l’angoisse.
*
Mais une image vaut mieux que de longs discours.
Regardons ensemble cette photo prise pendant le confinement :
Vous la voyez, l’angoisse ?
Non ?
Regardez bien, entre le Ça et le Surmoi :
Confinement. On est dans son studio sous les toits en ville où on habite provisoirement depuis quinze ans. Du coup on angoisse. Alors on se dit qu’on va aller à la plage. Pour échapper à l’angoisse. Mais aller à la plage pendant le confinement, ben justement ça attire les policiers en moto en quad. Et ça nous provoque de l’angoisse.
==> La névrose, c’est exactement ça.
On provoque ce dont on veut s’échapper.
On crée les conditions qu’on voulait éviter.
On fait advenir ce qu’on redoutait.
Bon, OK, le gars sur la photo n’a pas l’air hyper angoissé.
Mais c’est une métaphore.
C’est…
Tu fais exprès ?
Bref.
En tout cas, figure-toi que je connais un mec qui s’est pas mal intéressé à la névrose (c’était il y a longtemps, mais c’est resté très actuel).
Et en partant de la névrose, le mec il a compris deux trois trucs sur le fonctionnement de notre psychisme.
Des trucs qui concernent tout le monde.
On parlera de tout ça.
D’ici là, ne vous prenez pas trop la tête.
(oui c’est Freud)
PS : C’est pas grave si t’es pas borderline
Malgré toutes mes précautions, la publication sur ce blog d’une série d’articles sur le trouble de la personnalité limite (TPL) a modestement contribué à la hype du terme « borderline ».
En d’autres termes : un certain nombre d’entre vous, malgré les avertissements, malgré les pincettes, malgré l’insistance à dire « Attention, c’est très spécifique, lisez bien les critères », s’est reconnu comme tout à fait borderline.
Et tant pis si on ne remplit qu’un critère sur neuf.
Et tant pis si tel comportement « fréquent » chez les borderlines on ne l’a eu que deux fois dans notre vie.
Et tant pis si telle réaction exagérée nous est venue dans des circonstances très exceptionnelles.
(du genre bourré et défoncé à cinq heures du mat’ après trois jours d’intoxication alimentaire contractée aux obsèques d’un proche)
Tant pis. On s’est trouvé borderline, et pis c’est tout.
Parce qu’on sent bien qu’il y a quelque chose qui ne va pas, et que « borderline » c’est disponible.
Je peux comprendre. C’est vrai que « borderline » c’est stylé comme mot. Quelque part, ça fait envie. Ça fait « Blade Runner », ça fait Mad Max, ça fait Bonnie and Clyde…
Ça fait Kurt Cobain.
Mais v’là le truc : borderline, c’est répandu mais c’est minoritaire.
Genre être malade du coronavirus.
Alors, par considération pour ceux d’entre nous qui souffrent de cela, ne galvaudons pas le terme.
Proportion très approximative : pour 1 borderline, on va avoir au moins 10 ou 12 névrosés (a priori, parmi vous aussi).
==> Donc dans le doute considérez que votre souffrance ne relève pas du trouble de la personnalité limite mais plus probablement de la névrose (et c’est vachement bien, déjà).
Si cette idée d’être borderline vous tracasse vraiment, si vous tenez à avoir un diagnostic « officiel », il faut vous adresser à un médecin spécialisé. Donc à un psychiatre (pour en trouver un qui convienne, demandez-lui en amont ce qu’il pense du TPL : certains ne sont pas fans du concept).
NB : on parle du diagnostic.
Pour le traitement… c’est vous qui voyez.
¤
La névrose est peut-être moins mortelle en proportion, mais elle cause dans l’ensemble aussi beaucoup de souffrance.
Parce qu’elle touche vraiment une marée de gens.
Il importe de s’en occuper parce qu’une névrose, ce n’est pas « rien ».
Ça peut être de l’ordre du caillou dans la chaussure : même si ça ne semble rien, il faut le virer. Parce que ça ne va rien donner de bon.
C’est un problème de santé publique mondiale, qui est le terreau d’à peu près toutes les complications collectives…
C’est un poids qui plombe tous les aspects de notre vie.
C’est un problème bien connu.
Et on peut arranger ça.