Dépression et solitude

Tristesse…  Abattement… Désespoir…
On est pris dedans.

Une rupture amoureuse. Un deuil affectif.
Ou « rien ». Juste comme ça.
Déprime. Dépression.

À la fin, on en sort.
Voyons comment.

 

 

Fractured h550
« Fractured », par Clashing Squirrel

 

Que saisir sinon qui s’échappe,
Que voir sinon qui s’obscurcit,
Que désirer sinon qui meurt,
Sinon qui parle et se déchire ?

– Yves Bonnefoy –

 

 

Confinements. Couvre-feu. Distance. Isolement. Éloignement. Séparation.

==> L’épidémie en cours réactive chez beaucoup d’entre nous des sensations douloureuses liées à l’abandon, au deuil et à la mélancolie.

L’autre n’est plus là.

Ça nous renvoie à d’autres absences.

Pour y voir plus clair, tâchons de dénouer ce qui se joue dans les deuils qui ne passent pas, dans les ruptures qu’on ne digère pas.

Parce que c’est ça qui est dans l’air, au fond.

On commence avec Freud.

On l’appelait Mélancolie

Printemps 1915. Europe en guerre. Deux fils de Sigmund Freud sont au front.
Freud est à Vienne. Il écrit. Une série d’articles qui donneront le recueil Métapsychologie. Parmi ceux-ci, une vingtaine de pages : « Deuil et mélancolie ».

C’est accessible. Et c’est dans le domaine public.

Dans cet article, publié en 1917, Freud écrit :

« Nous allons tenter d’éclairer l’essence de la mélancolie en la comparant avec l’affect normal du deuil. »

Et il annonce tout de suite que c’est un coup d’essai, et que les conditions d’une étude poussée ne sont pas réunies.

… Parce que la mélancolie est une appellation fourre-tout (qui réapparaîtra rarement dans l’œuvre de Freud), et parce que les observations cliniques manquent (Freud invite d’ailleurs d’autres chercheurs à se joindre à cette étude, et cite les collaborateurs dont il s’inspire : il devait être bien mal !).

Définition de la « mélancolie » donnée dans cet article :

« La mélancolie se caractérise du point de vue psychique par

une dépression profondément douloureuse,
⦁ une suspension de l’intérêt pour le monde extérieur,
la perte de la capacité d’aimer,
⦁ l’inhibition de toute activité
et

la diminution du sentiment d’estime de soi [qui se manifeste en des auto-reproches et des auto-injures et va jusqu’à l’attente délirante du châtiment]. »

Aujourd’hui, on aurait tendance à appeler « dépression » l’ensemble de ces symptômes.

Ici, la mélancolie diffère du deuil.
Le deuil est un processus normal qui suit la mort d’un être cher, et se résout généralement de lui-même.
Tandis que :

« Les causes déclenchantes de la mélancolie débordent en général le cas bien clair de la perte due à la mort et englobent toutes les situations où l’on subit un préjudice, une humiliation, une déception (…) »

On verra que ça a un rapport avec la blessure narcissique.

Pour l’instant, gardons juste à l’esprit que c’est typiquement ce qui se passe quand quelqu’un nous quitte.

Quand le deuil ne se fait pas…

Quelqu’un manque. C’est la réalité. On le sait bien. Pourtant quelque chose en nous se rebelle contre cette disparition, s’accroche.
En général, la réalité finira peu à peu par s’imposer à nous.

sauf dans certains cas graves, qualifiés par Freud de « psychose hallucinatoire de désir ».


Parfois, on se retrouve dans une situation intermédiaire : on reconnaît qu’il y a une perte, mais

« on ne peut pas clairement reconnaître ce qui a été perdu »

Là, on n’est plus dans le processus d’un deuil « classique ». Là, c’est quand ça se complique.

Normalement, après une perte, il y a une série de renoncements, douloureux mais incontournables. Et puis, après, ça va mieux. On a « fait son deuil ».

Ça se complique quand quelque chose résiste au deuil. Un noyau non-identifié. Une sorte de centre dur, solide, qui ne passe pas. Et qui absorbe de l’énergie.

Il nous échappe car il se trouve dans l’inconscient.

*

L’inconscient génère de la répétition.

On l’a écrit par exemple ici, ou , ou encore . (On le répète, oui, oui !)

Dans le deuil « pathologique », on est dans une répétition « automatique », un mouvement « en roue libre », qui ne va nulle part, et qui relève de la compulsion de répétition.

Celle-ci est un signe typique de refoulement, ou plutôt de retour du refoulé : quelque chose qui était maintenu inconscient remonte vers la surface. Régulièrement, cycliquement, sans trêve.

Ça pourra se comporter comme une source… ou comme un volcan, selon l’issue qu’on offre à ces « montées » de contenus inconscients.
En tout cas, il est intéressant – et prudent– de considérer la répétition comme un signe avant-coureur.

Bref, quand le travail du deuil n’atteint pas son but, on rumine mais on ne digère pas.

Parler mal

On rumine, on est obsédé par l’idée de l’absent, on parle sans pudeur apparente autour de nous. Ça s’impose.

On se diminue, on se rabaisse. C’est le cas de figure que considère Freud.
Mais il entend quelque chose qui « sonne faux » là-dedans :

« Si l’on écoute patiemment les multiples plaintes portées par le mélancolique contre lui-même, on ne peut finalement se défendre de l’impression que

les plus sévères d’entre elles
s’appliquent souvent très mal à sa propre personne

… tandis qu’avec de petites modifications

elles peuvent être appliquées à une autre personne
que le malade aime, a aimée, ou devait aimer. »

==> En d’autres termes : je dis du mal de moi-même, mais en fait ce que je dis, ça vaut pour l’autre, l’absent.

(Ou en tout cas, une personne absente)

Mouais… OK… Bon…
C’est un peu étonnant, mais admettons.

Nous voilà, chers lecteurs, confrontés à un processus qui ne va pas nous plaire. Un de ces processus dont on préfèrerait qu’ils n’existent pas.
Un de ces processus que la psychanalyse a envisagés – en mode « tout se passe comme si… » – pour expliquer certains phénomènes récurrents, observables. Des processus qui heurtent bien souvent notre sens commun. Qui nous semblent inacceptables. Inavouables. Scandaleux.

Et qui rendent la psychanalyse détestable, parce qu’elle vient nous dire des choses qu’on voudrait ne pas entendre.

Voici la proposition :

Si la souffrance est intense et persistante, s’il y a du tiraillement, c’est peut-être qu’il y a de l’ambivalence.

*

Une façon de dire ça autrement :

Peut-être que quand on aime, et bien… on ne fait pas toujours que aimer..?

==> Peut-être qu’il y avait autre chose, à côté de l’amour ?

Et que parfois on souffre justement parce qu’on ne veut pas reconnaître ce côté plus sombre ?

==> Peut-être qu’il est difficile d’admettre les aspects ambigus de notre attachement ?

Et que, quand l’autre n’est plus là, il nous arrive de retourner une certaine agressivité contre nous, par tous les moyens à notre disposition..?

« Oh là ! Vous n’allez quand même pas nous dire qu’il y aurait un sadisme qui devient masochisme ? »

… Mais si, carrément !

==> Des tendances à faire du mal qui se retournent contre nous-mêmes, c’est l’alpha et l’oméga du truc.

*

… On va se regarder ça.

Tranquillement.

Dans le prochain article.

 

D’ici là, portez-vous bien, et mettez-vous la figure au soleil dès qu’y en a.

À très vite.

 


 

Merci à l’artiste Clashing Squirrel de m’avoir permis d’utiliser l’une de ses créations pour illustrer cet article.

Vous pouvez découvrir ses œuvres sur instagram.com/clashing.squirrel.


 

[retour]

Deuil normal ou pathologique ?

Ressasser, c’est normal.
Un temps.

Faire revenir le vécu qu’on porte en nous, se le « repasser », au départ ce n’est pas simplement « tourner en rond » : on est en train, petit à petit, d’user ce vécu, comme l’eau érode un rocher (avec un « ressac », tiens).

Ce qu’on a perdu, on le voit comme un monde, non sans raison. Avec le temps, ça deviendra un petit caillou, qu’on pourra mettre dans sa poche. Patience.

On renvoie généralement à Marcel Proust pour une description fine de ce processus où l’image de la personne perdue devient peu à peu un souvenir.

Mais des fois, ça ne fonctionne pas. Rien ne se passe. Ça ne passe pas.
C’est généralement là qu’on considère qu’il y a « deuil pathologique ».

Parce qu’on n’est pas l’océan, non plus : si le ressac ne s’arrête jamais, s’il y a quelque chose qui ne finit pas (= de l’ordre de l’infini), c’est très probablement que l’inconscient est à l’œuvre. On l’a illustré dans un précédent article.

L’inconscient génère de la répétition. OK.
De cela, on peut essayer de tirer une conséquence pratique. En inversant les choses : en créant volontairement de la répétition, on va peut-être permettre à l’inconscient de s’exprimer et de nous laisser un peu peinard.
Mais il s’agit alors d’une répétition « conscientisée », « sublimée ». Orientée vers un objectif. Quelque chose que l’on met en place, typiquement à la suite d’une thérapie : nouvelle habitude, apprentissage, création assidue, etc.

Parfois, le temps ne fait pas son œuvre.
Parfois, le temps a besoin d’un coup de pouce.
Parfois, il faut poser un acte.

Et il y aura de la nouveauté.

 

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