Il y a la version : « C’est pas du tout scientifique ton truc. C’est complètement perché, c’est n’importe quoi. »
Il y a la version : « Ah ouais, mais ça doit être carrément prise de tête… Genre t’es tout le temps en train de tout analyser, non ? »
Et au milieu, il y a ce qu’on essaie de faire.
On essaie d’y voir plus clair ?
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Certains considèrent que l’approche psychanalytique est complètement fantaisiste et dépourvue de rigueur.
Ils la trouvent trop floue.
==> Ils voudraient bien que notre langage soit sans aucune équivoque, qu’il soit une sorte de langage informatique.
Qu’une forme ait toujours le même sens.
Que tout ne soit qu’affaire de décodage.
Du genre : « Ce truc-là, il veut dire précisément ça. Toujours. Automatiquement. »
… Et l’approche psychanalytique ne serait pas assez digitale à leur goût.
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D’autres lui reprochent au contraire d’être uniquement dans le raisonnement, dans « la prise de tête ».
==> La psychanalyse serait une entreprise de désenchantement du monde, de rationalisation à outrance.
Ils la supposent trop systématique, dépourvue de finesse et de sensibilité.
Ils s’imaginent qu’elle complique les choses, et qu’elle éloigne de la vie.
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Le point commun entre ces deux types de critiques, c’est qu’elles sont généralement prononcées de loin, sans avoir expérimenté le sujet. Sans s’être plongé, sincèrement, longuement, dans la matière.
Quelque part entre ces deux points de vue, la « psychologie des profondeurs » essaie, depuis plus d’un siècle, de se faire entendre.
Entre l’action et l’abstraction
Il a déjà été question sur ce blog de la réalité psychique. C’est une notion qui permet d’éviter bien des malentendus et des contresens.
La réalité psychique, c’est une expression pour désigner comment on perçoit et on vit le monde. C’est la sphère des images mentales (des « fantasmes »), marquée par des empreintes du passé, et animée du désir inconscient.
« Réalité » parce qu’elle est constituée d’éléments qui se comportent comme s’ils étaient solides, avec leurs propres « lois d’attraction ».
Des éléments qui perdurent, qui s’organisent d’une façon cohérente et que l’on peut décrire.
Un système, qui porte à conséquence (ne serait-ce que parce qu’il influence nos comportements et notre action sur le monde).
La psychanalyse part ainsi d’un principe double :
- la réalité psychique a des effets concrets ;
- il est possible d’agir sur la réalité psychique.
L’approche psychodynamique nous invite à reconnaître le rapport entre ce qui se passe pour nous « à l’intérieur », et ce qui se passe pour nous « à l’extérieur »
Elle nous invite à constater comment les choses se jouent pour nous, comment elles se rejouent.
On pourra ainsi remarquer des constantes dans ce qui nous arrive, des répétitions sans cause matérielle objective.
Envisager que tout ça peut dessiner quelque chose, en mode « tout se passe comme si ».
On est là dans une sorte de
domaine de l’entre-deux
… avec ses lois propres, parfois « contre-intuitives ».
Dans la thérapie, chacun s’approchera de ce territoire dans la mesure de ses moyens et de ses besoins, protégé par un cadre.
Un cadre méthodologique et théorique solide, à la fois souple et précis, celui qui s’est développé dans le sillage des travaux de géants comme Sigmund Freud ou Carl Gustav Jung.
Toucher du doigt… le psychisme
Le psychisme est tangible. On peut découvrir sa consistance. Percevoir petit à petit à quel point il existe dans notre vie quotidienne. Qu’il est bien là. Qu’il a un poids.
Cela vaut pour chacun et chacune, car nous baignons de toute façon dans la réalité psychique.
Quand on prend en considération la réalité psychique, on se retrouve ainsi à travailler avec elle comme avec une matière.
À travailler avec elle comme avec un outil.
À travailler avec elle comme avec un environnement.
En d’autres termes :
la réalité psychique,
on travaille sur ça,
avec ça,
dans ça…
Quand on prend en considération la réalité psychique, on se place dans un cadre d’exploration qui n’est ni celui de la réalité tangible, ni celui de la pure abstraction.
On est entre les deux, en contact avec ces deux pôles :
- ==> la réalité tangible : on travaille sur la base de ce que la vie nous réserve, de ce que l’existence concrète nous apporte, du matériau du quotidien.
- ==> l’abstraction : on stimule notre capacité à comprendre, à faire des liens (intelligence), à discerner : la pensée est mobilisée.
Mais on travaille essentiellement à la jonction de ces deux pôles.
= Il ne s’agit pas simplement de trouver des solutions pratiques.
Et il ne s’agit pas non plus de rester dans le blabla.
On évolue dans le domaine où
on fait quelque chose de ce qui nous arrive
Où notre subjectivité entre en contact avec la réalité matérielle.
On ne fait pas cela juste pour se raconter des petites histoires.
Cela relève au contraire d’une stratégie très pragmatique :
On fait cela parce qu’on considère que c’est une méthode d’action efficace.
[voir ci-dessous comment notre intuition va converger avec nos autres qualités pour permettre un mieux-être et une évolution]
Interpréter avec modération
« Faire quelque chose de ce qui nous arrive ».
C’est-à-dire ne pas être dans une interprétation qui ne serait qu’un jeu de l’esprit, une explication, une rationalisation.
Du genre : « De toute façon, je suis comme ça parce que… », ou bien « Oh oui, mais ça, c’est juste dans ma tête », ou encore « Ah ben ça, ça veut dire que… ».
Il ne s’agit pas de cela, il ne s’agit pas d’une approche blasée, qui mettrait tout à plat, qui aurait déjà tout vu.
Une interprétation posée là, toute seule,
ça nous fait une belle jambe
Une sorte de diagnostic qui ne sert à rien, hors du temps, sans mouvement, sans vie. On prend pour un point d’arrivée ce qui ne devrait être qu’un point de départ.
Il ne suffit pas de nommer, d’évaluer.
Si on se demande
« Qu’est-ce que c’est ? »
c’est toujours pour se demander
« Où ça va ? »,
« Qu’est-ce que ça veut ? »
Il s’agit de percevoir le mouvement, la direction.
Cela ne signifie pas pour autant « voir des signes partout », chercher des « messages ». Prendre les choses au pied de la lettre, ne prendre aucune distance avec ce qui nous arrive.
Cela ne signifie pas se perdre dans un enthousiasme flou, être comme un bouchon sur les flots, en pensant que « l’Univers » ou « la Vie » va s’occuper de tout.
Et il ne s’agit pas d’avantage de croire que tout ne serait qu’affaire de volonté.
On est entre les deux, conscient de la richesse de ce qui nous traverse
sans jamais sacrifier la dignité de ce que l’on est.
Parcours analogique
Dans cet entre-deux, la pratique psychodynamique tâche de préserver à la fois le « grand » et le « petit ». Ce qui constitue la personne, et ce qui dépasse la personne.
Par le moyen d’une joyeuse complexité.
Le mode de fonctionnement privilégié est ici analogique, et l’on va tâcher de faire un juste usage du symbole.
C’est un mode de fonctionnement qui représente un bon compromis pour permettre au psychisme de s’exprimer sans trop de pertes. Métaphore, comparaison, mise en récit, images, imagination…
==> Il y a beaucoup d’outils qu’on peut mettre à notre service, selon notre sensibilité.
Parfois, ça prend un peu de temps pour se mettre en place.
Parce qu’on est en terrain inconnu.
Parce qu’il peut y avoir des résistances au changement :
quelque chose en nous préfère s’accrocher au connu, même s’il est douloureux, et donc rester dans la répétition.
Il peut dès lors y avoir une épreuve de patience. Qui relève du respect pour l’individualité de la personne. On ne force pas la main. On tâche de faciliter l’avènement de ce qui doit être, et qui n’est pas identifié d’emblée. On accompagne, on catalyse.
Il peut y avoir des pauses. Ce n’est pas un processus linéaire.
La thérapie intervient pour faciliter une issue favorable. Et durable.
Et pour faire en sorte qu’elle arrive en temps utile.
Parce qu’à laisser faire les choses, ça peut être long, trop long. Parce que le temps passe vite.
Et qu’on est quand même là pour vivre sa vie, non ?
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conseil de lecture :
Psychothérapie – L’expérience du praticien, de Marie-Louise von Franz. éd. Dervy 2001. Accessible à tous les publics.
Je le conseille notamment pour son explication des « types psychologiques » décrits par C.G. Jung, et de la façon dont les différentes fonctions entrent en dynamique au sein de notre vie psychique.
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Merci à l’artiste Clashing Squirrel de m’avoir permis d’utiliser l’une de ses créations pour illustrer cet article.
Vous pouvez découvrir ses œuvres sur instagram.com/clashing.squirrel.
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L’intuition, oui, mais pas n’importe comment
On travaille pour réhabiliter l’intuition profonde. Unie au discernement, toujours.
C’est-à-dire qu’on ne tombe pas dans l’écueil très à la mode de dire « c’est bon, maintenant j’y vais au feeling » ==> bien souvent, ce n’est qu’une façon de répéter les mêmes comportements et de (se) faire croire qu’on agit librement alors qu’on décline des automatismes.
Dire « j’y vais au feeling », c’est parfois une échappatoire. Au fond, un moyen de se détourner de soi-même. Et de continuer à ne rien comprendre à ce qui nous arrive. On brasse alors beaucoup d’air mais, au final (vous me passerez l’expression), on s’endort aussi con qu’on s’était levé.
Pour vraiment donner sa place à l’intuition, on ne va pas mettre entre parenthèses la pensée, ni le sentiment, ni la sensation. On va mobiliser ces fonctions aussi. On va faire travailler tout cela ensemble, ce qui nous évitera les écueils d’un « lâcher prise » mal entendu.
Et on va travailler avec un cadre. Un cadre théorique, un cadre physique, un cadre relationnel. Un cadre thérapeutique.
Faire travailler tout cela ensemble, c’est ce que l’on peut appeler une intégration. C’est un processus transversal. De mon point de vue, c’est là que se révèle l’aspect le plus unique de notre personnalité, là que réside notre « âme », notre style. Certains parlent de processus d’individuation.
La volonté va servir bien sûr. Elle va servir, mais pas en mode « héroïque, pas toute seule au milieu de la plaine avec son épée.
La volonté va intervenir avec des détours, des leviers, des astuces. Pas « en mode bourrin », pas en mode « je dois faire comme ça ». Non. La volonté va être malicieuse. Elle va naviguer. Avec les idées claires et le pied leste. Avec l’œil aux aguets sur un bateau bien tenu. Avec l’oreille attentive.
Car il s’agit d’entendre. Dans les deux sens du terme. Percevoir et comprendre.
Avec feeling et discernement.
Jamais l’un sans l’autre.